- Tel un Phénix au pied du mur de la mémoire -

Claude Guibbert – Mars 2004 -

Fond d'écran – création de l'auteur : RUBANISMES - détail -


Devenus trop lisses
Les vieux souvenirs infidèles
Nous glissent des doigts et s'enfuient
Comme l'eau vive
Pressée de tarir
La mémoire du ruisseau

Vitale dimension
Qu'offre un meilleur souvenir
Et tu tentes en vain
De t'abreuver
En saisissant la faille
Dans le creux de tes mains

L'urgence
Leurre la profondeur
De la résurgence
Du vitrail de tes ambitions
Rêves frustrés de lumière
En surface de l'instantané

*

Sur le sofa discret
De la créativité
L'opium des sens
Couplé à la douceur de l'alcool
Rend moelleuse l'ébriété

Alors la page blanche
Vole et s'enflamme
Lentement
Pour la fortune mutuelle
D'un narguilé
Panorama du pollen de mots
Portés par la symbiose
De l'accomplissement

Dans le marécage de l'inassouvissement
L'inaccomplissement auto-torturant
Débouté de tout état de grâce
Avait fini par tordre
La grue en fil de fer
De ma patience

*

Une trompette dans la nuit
Te dit homérique
Bois-moi!
Tu seras
Mon orange pressée du matin!
Que ton verre d'orage
Se teinte de foudre!

Dans la rage du réveil
Occultant le culte du sommeil
La nuit se consume
Et consume
Les brumes de lune

Le charisme de l'infortune
S'égare sur son échelle diagonale
Laissant la plume s'enluminer
Dans le cénacle envoûtant
D'une tessiture enfiévrée
De doux chants magnétiques

*

Le gris intime de minuit
Conjugue à l'imparfait
Le souvenir diaphane
De n'importe quel visage
Si doux soit-il
La nébulosité s'émancipe
Dans le cloaque
D'un coït de songes obliques

Derrière le mur
Du tribunal de l'adversité
L'incube utilise sa nuit
Pour récuser
Le monde scrutateur
Et les propos bifides

Le plaisir anticipé
Mouille cette rivière
Qui pénètre la veine
De son propre lit
Ascension vers l'illégitime
Où l'edelweiss carnivore
Dévore les scrupules-inventeurs
De la semence de l'ignorance

Narcisse a dû pétrir
Sa montagne d'oublis
Dans la pâte à sel
Du soliloque de sa faconde
Préférant défiler
Sans témoins implicites
Bien seul devant lui même

*

Regard
Cette richesse inépuisable
Consomme l'héritage
Que chaque instant en s'écoulant
Vient déposer
Dans le regard de l'autre

Richesse incalculable
Pour un regard mendiant
Fortune d'images fortuites
Nées du frai permanent
Du soleil et de la carte blanche du temps

Images en fratrie
De la lumière des secondes
Férues d'éternité

Images universelles
Images des êtres
Image de l'autre
Image de soi
Image que l'on donne
Images que l'on trouve

Scrupules et magnificence
Aux petits soins d'images péremptoires
Magie et imagination
Un visage élitiste
Hérite de lui même

Une étincelle ensorcelle
L'échelle matricielle
Descendue du désert de Junon

*

Les non-dits
Se privent des bienfaits
De la réciprocité
Souvenirs fulgurants et précaires
Devenus stériles
Qui s'immergent et se noient
Sous la surface pourtant limpide
De la source non partagée
De l'instant

Les non-dits s'atrophient
Dans le mal-entendu
De la pupille des Anges

Les non-dits
Sont des bulles qui circulent
Sans discernement
Au gré des ridules
De la mélancolie
Ou de la nudité de la banalité

Dans le plus pur reflux
De sa marge évanescente
L'histoire s'évapore
Et nous oublie
Dans son meuble à multiples tiroirs
Contenant le passé
Une commode
Soumise à l'emprise
De l'entreprise du temps
Caviar du pouvoir
Des opinions convergentes
Mémoires matérielles
Vouées à l'immortalité


Je veux être la dune
Sans cesse
Profilée par le vent
Élément émergeant des éléments
Je veux être à la fois
Grain de sel et grain de sable

*

S'écoulant sur son lit
Légèrement pentu
Le fleuve de la vie
Même à temps partagé
N'aura jamais besoin
De nos consentements
Pour subsister

Ainsi demeure invisible
La chambre d'échos
Des flux d'instants redondants

Les méandres créent ces miroirs
Où s'enchaînent d'impalpables
Et d'inexorables latences
De leurres temporels immergés

Les mémoires décalées
De nos lignées en communion
Garderont inconsciemment
Jusqu'à la nuit des peuples
La vision spatiale immuable
Du même ciel fidèle
Aux mêmes étoiles
(Mais détroussé d'abeilles)

*


On se donne nécessairement
Ces occasions de boire
Avec modération
Le vin de garde
Élevé dans la résilience
A la sauvegarde du passé

On se donne parfois
Ou souvent
Des occasions de boire
Ce vin nouveau tiré
Immodérément
Du cristal translucide
De la perspective
De nos pensées

Et l'on se donne le droit
De s'élever vers ces vapeurs
Fertiles et sublimes
Relevant du domaine
Et de la part des Anges
-Nos vins des lendemains -

*

Émigrés impécunieux
D'une île de nulle part
Ils avaient gravé
Sur des grains de riz
La supplique d'un monde meilleur
Mais n'ont pas osé
Fédérer leurs craintes
Et parler librement de famine

*

Du haut du labyrinthe
De son arborescence
Enrichie de lichens
Avant d'être périmé
L'Homme jouit
De sa relève

*

Dansez! Dansez!
Dansez! mes raisons-d'être
Dansez pour moi!
Dansez encore!
Dansez sur la chenille
Et le pont Mirabeau
Vos spirales m'inspirent

Chantez! Chantez!
Chantez! mes souris vertes
Chantez pour ma mémoire!
Chantez encore!
Chantez toujours!
Mon arc-en-ciel oublieux et terni
S'éternise en villégiature

Ne pleurez pas!
Belles rebelles
Ne pleurez plus!
Séchez vos armes!
Car je ne serai plus
Là pour apercevoir
Vos chaudes larmes
Encombrer vos mouchoirs

Pas de sang d'encre!
Dans le cœur de l'ordinateur
Les meilleurs souvenirs
Dansent chantent ou meurent
La mémoire demeure

*

Un jour donné
Ton ego se retrouve en partance
Sans préméditation
Et tu deviens alors
Irrémé-diablement
(ou diaboliquement)
Un touriste obligé de la mort

Un jour repris!
Et tu deviens
Le sans papiers du souvenir
Qui grève -pour un temps -
Et contagieusement
Le rétroviseur de la survivance
Ressuscitant provisoirement
La conscience de l'humilité

Seul le chien infidèle à l'histoire
Hurlera à la mort
Qui le gratifiera pourtant
D'un nouveau maître

*

Tel l'oiseau qui revient
Toujours fidèle au – printemps
Le futur découd
La dentelle couronnée
Du passé
Un chemin de vie
Exempt de sauf-conduit
Ne cesse d'empiler
Les truismes empiriques
De nos présents évanescents

*

Seul au centre du monde
Drapé dans la logique intime
De sa réminiscence-génétique
Dénudé par un faisceau
De regards convergents
Le Taureau
Subalterne
Ne peut que
Devenir
Compulsivement
Misanthrope!

*


L'élégie
N'est jamais
Un jour « J »
Mais un sans lendemain un « ci-gît »
Car le pire conspire et parvient à ses fins
En un lieu où l'ombre ne bougera plus
Ultime croisée
Des chemins de l'éternité
Devenue frontière
Pour passeport testamentaire
Le ciel se disloque
Et défroque les yeux

Les flammes vives du cheval au galop
Doublées d'une sarbacane
Ont ruiné le pré-carré
De mes frères de rimes

trous noirs

L'intense fragrance des lis blancs
Repousse l'écorce des brumes d'encens
Communion baroque
Enveloppant les grumes vernissées
Langues de bois des secrets
A jamais enfermés

Le silence ne cédera point

Ainsi naît la blessure
De ce temps délinquant
Ses coups d'éclat d'avanie
Et le chaos sculpté
A même le blanc manteau marbré
L'hiver recouvre
Le mur opaque du silence

Dieu que la pierre est froide et dure!

Et nous ne verrons jamais plus
Ceux qui dans le déchirement
Nous auront précédés

Aux confins d'une République tellurienne
Un sublime arc-en-ciel
N'a pu que s'élever dans la grandeur
D'un - vieil airain féru de cuivres -
Acteurs diligentés
Vers la terre promise

Pendant un temps
La réalité s'est mise à dériver
En apnée de boussole
Dans le large estuaire en crue
De ce fleuve du doute

Un nouveau bleu à l'âme

Et ce sentiment d'impunité
De l'infinitude pyromane
Quand finira-t-il
De jeter de l'huile
Sur l'obscur foyer
De mes pensées

Camarde-gargouille
Maîtresse résurgente
De scories ingambes
Qui minimalisent
Le culte de l'existence!

24 janvier et 4 mars 2004 -

*

Pour le «feu» des Minimes je rime une maxime
Des voûtes d'Art-Majeur qui envoûtent l'intime :
«Mieux vaut un - sincère-nain - qu'un mythoman' géant
Aux vitraux embrumés du chef-d'œuvre roman ».


*

PP